mercredi 7 mars 2018

Premières lueurs d'été



Pas le temps...



Ce soir, je reçois les appels successifs de copines parisiennes que j'ai cherché à joindre ce we. Elles m'appellent à la sortie du boulot, seul instant où, entre les horaires fixes du travail, les verres le soir avec les copines ou les spectacles, ciné et restos, elles ont un moment à elles seules. La communication est difficile, des bruits incessants viennent parasiter nos échanges, des sonneries de portes, des chanteurs à la sauvette dans les wagons... On n'a à peine échangé quelques infos sur nos vies, entre deux stations, qu'on perd le réseau... On se rappelle, le temps de retrouver le fil, de dire que ç'a coupé ect... ça recoupe. Finalement un texto "jte rappelle qd jsors du métro", ce qui nous fait gagner le temps du trajet entre la station et le prochain rdv. Du coup impossible de commencer par le début, de finir par la fin, de raconter les péripéties dans l'ordre. On est dans l'instantané, l'émotion immédiate, comment on se sent au moment x. On est dans l'urgence de dire, et on n'a pas le temps pour les chronologies. Finalement on raccroche prestement devant le prochain rdv, en se disant qu'on va se rappeler plus tard. Et on se rappelle en effet bientôt, encore un peu vite, au rythme fou de la vie intempestive qui court dans les villes plus vite que le temps. Et la machine redémarre, on a des news sans en avoir, on a bien entendu le son de la voix, on a l'impression de garder le lien. Mais le temps imparti ne nous laisse pas l'occasion de sonder l'ami en profondeur, ni d'avoir une vision d'ensemble afin de savoir ce qu'il pense vraiment, comment il va vraiment. On est dans le factuel, l'émotionnel, le sensationnel. On ne parle pas d'essentiel.
Ces nouvelles à la volée me donnent toujours un goût de pas fini. On anticipe la probable interruption alors on livre tout et vite, et mal, car chaque seconde compte et on n'a pas le temps, pas le temps d'avoir le temps, comme dirait l'autre... Alors, de ces vies racontées par bribes, on ne peut avoir qu'une vision incohérente, c'est comme un zapping. On surfe entre sa messagerie gmail, hotmail, Outlook, Facebook, whatsap, skype ect. On se donne tous les moyens de communiquer en chargeant mille appli, mais il nous manque une chose précieuse et essentielle que l'on refuse de se donner... le temps!

Rien à f... ou la difficulté de ne rien faire



Aujourd'hui, je descends en pause et comme d'habitude je ne sais où me mettre ni quoi faire de mes mains, de mon attention, de mon regard. En effet, je ne fume pas, je n'ai pas de cigarette à griller pour avoir l'air occupé, pas non plus des masses de choses à regarder sur mon téléphone car je n'ai pas un milliard d'amis qui me contactent sur leurs heures de boulot, et je ne bois pas de café... Comment justifier ma pause? Comment expliquer que si je prends une pause, ce n'est pas pour "faire", mais justement pour cesser de "faire" un instant? J'aimerais juste me tenir là à rêvasser, mais je me sens l'air d'une originale et ne parviens pas à assumer cette image, surtout au sein de mon entreprise. Alors j'élabore un stratagème, une astuce un peu pathétique. Je descends systématiquement avec mon mug, que je remplis d'eau tout simplement, pour en prendre une gorgée de temps en temps, pour ne pas être là les bras ballants, pour me donner une certaine contenance, l'air de savoir ce que je fais.
Dans notre monde sur-occupé, où chaque seconde doit être rentabilisée, où le cerveau humain est sollicité jusqu'à épuisement par mille appli, réseaux sociaux (ou anti-sociaux), par nos impératifs de productivité et de rendement, difficile d'avoir l'air inactif et totalement improductif! Cet inconfort dans l'inaction n'est-il pas le syndrome d'une société malade de sur-action, dans laquelle ne rien faire est un crime, un manque à gagner pour la planosphère, une hérésie qui mérite d'être pointée du doigt et punie sévèrement par l'opinion publique? Il est à ce titre amusant de constater que l'inaction était à l'époque le privilège des puissants et des riches, qui se languissaient en effet toute la journée, alors qu'aujourd'hui ces mêmes riches de sociétés occidentales s'assomment et s'abrutissent d'informations vaines et d'actions stériles, et gâtent leur temps plutôt que de le perdre avec calme et humilité.
Je revendique le droit à l'inaction, à l'improductivité et à la rêvasserie, qui peuvent nous emporter plus loin qu'on ne nous le laisse croire. Car le rêve et l'attente sont des espaces de liberté, les derniers bastions de l'humanité, un endroit où peut s'exprimer le luxe de la pensée.