jeudi 21 décembre 2017

La leçon de Piano


L'histoire d'une femme qui se rend aux confins de la Terre et de l'Océan. Qu'espère t'elle y trouver? La porte secrète d'un autre monde, l'entrée dans l'univers des possibles, un échappatoire? La scène d'ouverture nous laisse entrevoir les premiers pas de cette inconnue en terre neuve. Sa robe empesée l'entrave, c'est avec peine qu'elle se meut, comme retenue par des liens invisibles qui l'enchaînent au passé. Le piano, monstre flottant sur un rafiot précaire, semble lui aussi la retenir dans un monde qui s'éloigne déjà, au grès des vagues.

Le sable, l'écume et bientôt les lianes se mêlent à leur avancée pénible vers les terres. La forêt, matrice magique et terrifiante, recèle en son sein les secrets et les rêves des hommes et des bêtes. Refuge des initiés, épouvante des colons. Luxuriance émouvante et sauvage, intrigante, hostile. Les émotions qui ne peuvent éclore dans le coeur des hommes s'y fraient un chemin dangereux, un chemin qui les mènera aux confins de leur âme, vers eux-mêmes, là ou nul ne pourra les suivre. Les plus rétifs répugnent à l'emprunter et le fuient comme le démon, barricadés dans leurs maisons de bois, entérinant leurs désirs; les âmes perdues, en s'y risquant, s'y enfouissent malgré elles et y trouvent le terrifiant sentier de leur être.

Notre héroïne, robe sombre aux prises avec les branches et les racines, y découvre la soudaineté de la vie, sa brusquerie et sa douceur. Son vêtement, strict apparat, soutane rigide, boutons fermés jusqu'au menton, ne laisse entrevoir que sa nuque. Au-dessus, un visage fatigué et inquiet, des yeux immenses et profonds criant un désespoir inaudible. Une coiffure austère retenant des cheveux de jais, une tête pâle comme coupée de son corps, prise en étaux entre la sévérité de l'habit et la rigueur du chignon. Dessous, les jupons et les dentelles, cotonnades blanches et immaculées, notes blanches sous le capot, évoquent les premiers linges d'enfant et les tenues de jeune fille. Également la fragilité, par la délicatesse des tissus, si ténus sous les lourdes étoffes. Une Jane Eyre muette et effrayée ne faisant q'une avec son piano, une orpheline sans patrie ni amour, retenant la vie au plus profond de ses jupes.

Sous ses doigts courant sur les touches, le piano, amant qu'on retrouve, tressaille. Un ravissement presque langoureux la saisit alors et la dérobe au monde honni. Éclate alors  une magnificence insoupçonnée, la musique dans son triomphe célèbre la vie et la passion, libérées des peurs.