mercredi 27 septembre 2017

Machines




"Dans la vie on a le choix de faire travailler les machines ou de se mettre soi-même à la tâche. Dans le premier cas, nous déléguons à la technique le soin d'assouvir nos besoins. Débarrassés de tout impératif, nous nous dévitalisons. Dans le second, nous mettons en branle la machinerie du corps pour répondre aux nécessités. (...) L'énergie se redistribue. Elle est transférée du ventre des appareils au corps humain.
Au bout de quelques jours, je remarque les premières transformations de mon corps. (...). La tension diminue, le coeur ralentit : confiné dans un espace réduit, j'appends à faire des gestes lents. L'esprit lui-même s'assoupit. Privé de conversation, de contradiction et des sarcasmes des interlocuteurs, l'ermite est moins drôle, moins vif, moins incisif, moins mondain, moins rapide que son cousin des villes. Il gagne en poésie ce qu'il perd en agilité.
Parfois, cette envie de ne rien faire. Je suis depuis une heure assis à ma table et je surveille la progression des rais du soleil sur la nappe. La lumière anoblit tout ce qu'elle effleure. Le bois, la tranche des livres, le manche des couteaux, la courbe du visage et celle du temps qui passe, et même la poussière en suspens dans l'air."

Junger."La démystification vise à rendre les personnes et leur conduite dociles aux lois du monde des machines."

"Constance sent une sève monter dans sa chair ; elle comprend que le progrès désubstantialise le monde. Lawrence met dans la bouche de la jeune femme de prophétiques paroles sur l'enlaidissement des paysages, l'abrutissement des esprits, la tragédie d'un peuple qui perd sa vitalité ("sa virilité" dit-elle) dans les cadences mécaniques. L'amour primitif et pain d'épanouit chez Lady Chatterle en même temps qu'elle assiste au naufrage des âmes modernes, siphonnées par une "sinistre énergie". (...)
Lawrence savait que la campagne est un visage de la beauté."

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

" Quand je pense aux inconforts que des Américains en parfaite santé sont prêts à endurer plutôt que de faire un mille ou un demi-mille à pied, les invectives qu'ils supportent et encouragent, s'entassant dans un tramway à la moindre chute de température ou au premier flocon de neige, serrés comme des sardines, suspendus à des poignées, se marchant sur les pieds, respirant l'haleine de leurs voisins, écrasant femmes et enfants, farouchement accrochés à leur petit bout de plateforme, prenant des risques et éreintant les chevaux - je pense que n'importe quel vagabond des rues peut se féliciter du rare privilège d'aller à pieds. En effet, une race qui néglige ou méprise ce don sauvage, qui craint le contact avec le sol, qui ne crée pas de sentiers, ne communalise pas la terre comme leur entretien l'exigerait, qui tient le marcheur pour un violeur de propriété, qui ne connaît de route que la grand route, la chaussée fréquentée par les voitures, qui oublie de ménager des tourniquets, des passerelles, qui va jusqu'à ignorer les droits du piéton sur la voie  publique, ne lui laissant d'autre issue que le fossé ou le talus, est en voie de dégénerescence profonde."
John Burroughs.

"la bicyclette est un engin convivial, dans la mesure ou, comme à pieds, nos jambes constituent la force motrice, et la distance parcourue est proportionnelle à l'effort qu'elle fournissent. En revanche, il n'en va pas de même avec l'automobile: avec elle disparaît tout proportionnalité entre notre déplacement et notre engagement corporel dans le mouvement. (...° se propage cette forme de malheur qui consiste, pour un être vivant, à mener une vie éloignée de l'exercice naturel de ses facultés."
Olivier Rey.

"L'oeil ne se lasse jamais d'un spectacle de splendeur."



"J'ai découvert qu'habiter le silence était une jouvence. J'ai appris deux ou trois choses que bien des gens savent sans recourir à l'enfermement. La virginité du temps est un trésor. Le défilé des heures est plus trépidant que l'abattage des kilomètres. L'oeil ne se lasse jamais d'un spectacle de splendeur. Plus  on connaît les choses plus elles deviennent belles. J'ai rencontré deux chiens, je les ai nourris, un jour ils m'ont sauvé. J'ai parlé aux cèdres, demandé pardon aux ombles et pensé aux miens. J'ai été libre car sans l'autre, la liberté ne connaît plus de limite. J'ai contemplé le poème des montagnes et bu du thé pendant que le lac rosissait. J'ai tué le désir de l'avenir. J'ai respiré l'haleine de la forêt et suivi l'arc de la lune. J'ai peiné dans la neige et oublié la peine au sommet des montagnes. J'ai admiré la vieillesse des arbres, apprivoisé des mésanges, saisi la vanité de tout ce qui n'est pas révérence à la beauté. J'ai jeté un regard sur l'autre rive. J'ai connu des semaines de neige silencieuse. J'ai aimé avoir chaud dans ma hutte pendant que la tempête déchaînait sa rage. J'ai salué le retour du soleil et des canards sauvages. J'ai arraché la chair des poissons et senti la graisse des oeufs d'omble me rafraîchir la gorge. Une femme m'a dit adieu mais des papillons se sont posés sur moi. J'ai vécu les plus belles heures de ma vie jusqu'à la réception d'un message et les plus tristes ensuite. J'ai arrosé la terre de sanglots. Je me suis demandé si on pouvait obtenir la nationalité russe non par le sang mais par les larmes versées. Je me suis couché dans les mousses. J'ai vidé des litres de poison à 40° et j'ai aimé pisser dans la Bouriatie. j'ai appris à m'assoir devant une fenêtre. Je me suis fondu à mon royaume, j'ai senti l'odeur du lichen, mangé l'ail sauvage et croisé des ours. Ma barbe a poussé, le temps l'a dévidée. J'ai quitté le caveau des villes et vécu six mois dans l'église des taïgas. Six mois comme une vie.
Il est bon de savoir que dans une forêt du monde, là-bas, il est une cabane ou quelque chose est possible, situé pas trop loin du bonheur de vivre."

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

"les taïga ensauvagent les hommes et délient les âmes" , Sylvain Tesson



"J'apprends par coeur un vers à prononcer dans une conversation ou l'on se trouverait à court d'arguments : " Dans tout cela réside une signification profonde. Sur le point de l'exprimer, j'ai oublié les mots."



"Après avoir voulu agir sur le monde, ces hommes se retranchaient, décidés à laisser agir le monde sur eux. La vie est une oscillation entre ces deux sensations.
Mais garde! Le non-agir chinois n'est pas l'acide. Le non-agir aiguise la perception de toute chose. L'ermite absorbe l'univers, accorde une attention extrème à sa plus petite facette. Assis en tailleur sous l'amandier il entend le choc du pétale sur la surface de l'étang. il voit vibrer le bord de la plume de la grue en vol. Il sent monter dans l'air l'odeur de la fleur heureuse dont s'enveloppe le soir."

"Morand au chapitre II : "IL y a trois manières de commencer sa vie : le plaisir d'abord, le sérieux plus tard; ou bien travailler dur au début, pour se revancher vers la fin; ou bien mener de front le plaisir et le labeur." La cabane, c'est le lieu de la troisième manière."

"Rien ne me manque de ma vie d'avant. Cette évidence me traverse alors que j'étale du miel sur les blinis. Rien. Ni mes biens, ni les miens. Cette idée n'est pas rassurante. Quitte-t-on si facilement les habits ajustés à ses trente-huit ans de vie? On dispose de tout ce qu'il faut lorsque l'on organise sa vie autour de l'idée de ne rien posséder."

"Parfois les révélations proviennent du plus profond de soi. Il ne s'agit plus d'un tressaillement devant les signaux du monde mais d'un élan intérieur, du jaillissement d'une idée, d'un fulgurant désir,. L'homme se sent alors un terrain habité pu luttent dieux et démons."

"Je me sens de la chrétienté, ces étendues ou les hommes, décidant de vénérer un Dieu qui professait l'amour, autorisèrent la liberté, la raison et la justice à envahir le champ de leurs cités. Mais ce qui me retient, c'est le christianisme, ce nom que l'on donne au tripatouillage de la parole évangélique par un clergé, cette alchimie de sorciers à tiares et à clochettes qui ont transformé une parole brûlante en code pénal. Le Christ aurait dû être un Dieu grec."

"A 8 heure, tous les soirs, les rayons de soleil parviennent à se glisser dans une échancrure de crêtes au sud, et à tirer une longue coulée de lumière rousse sur le velours des épineux. Savoir si Dieu ou le hasard est responsable de cette beauté m'importe peu. Faut-il connaitre la cause pour jouir de l'effet?"

"Le courage du chien: il regarde ce qui surgit devant lui, sans se demander si les choses auraient pu se passer autrement."

"Aimer c'est reconnaître la valeur de ce qu'on ne pourra jamais connaître."

"Les reflets sont plus beaux que la réalité. L'eau féconde l'image de sa profondeur, de son mystère. La vibration à la surface situe la vision aux lisières du rêve."

Gilles "Moins elle avait de but et plus sa vie prenait de sens."

"Lire compulsivement affranchit du souci de cheminer dans la forêt de la méditation à la recherche des clairières. Volume après volume, on se contente de reconnaître la formulation de pensées dont on mûrissait l'intuition. La lecture se réduit à la découverte de l'expression d'idées qui flottaient déjà en soi (...)."

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

Solitude

"La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses."
"Qu'est-ce que la solitude? Une compagne qui sert à tout."



Elle est un baume appliqué sur les blessures. (...) Elle génère des pensées puisque la seule conversation possible se tient avec soi-même. Elle lave de tous les bavardages, permet le coup de sonde en soi."
Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

"Je ne suis jamais lassé de la solitude et c'est souvent une corvée d'en sortir. Être seul me permet des débordements avec moi-même et de me sentir grisé par le silence. Je peux rester assis sur un banc sous les châtaigners trois heures en correspondance avec moi-même. Aucune fatigue et une jubilation intellectuelle au bout du compte. Seul, je brûle d'activités. J'évapore de la pensée en paroles. Un atelier de fumigation à moi tout seul. La solitude me permet de faire passer avec une vertigineuse rapidité images, idées, rêves fous, hypothèses cinglées, parfois fécondes. Et ainsi de remonter le film de ma vie. Je peux rester ainsi une demi-journée entière à la lisière de mes rêves et de mes souffrances. Je suis ramené à moi-même. Que vais-je entreprendre demain? Quel sera mon prochain rêve? Je suis seul avec ma conscience. Tous les deux, nous formons un couple de jumeaux un peu acariâtres qui s'engueulent, boudent et prennent toute la couverture. Seul, je purge mon esprit. Ce n'est pas une satisfaction de soi-même ou un dédain pour les autres. Seul, je fais une copie au net de ma vie."
Ocean's Songs, Olivier de Kersauson.

Forêt

"Habiter joyeusement des clairières sauvages vaut mieux que dépérir en ville."



"Une fuite, la vie dans les bois? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donnent à l'élan vital."

"Moins nous nous attachons aux différences, et plus l'intuition se renforce ; nous n'entendons plus le bruissement de l'arbre mais la réponse de la forêt au vent".

"Quand je pense à ce qu'il me fallait déployer d'activité, de rencontres, de lectures et de visites pour venir à bout d'une journée parisienne. Et voilà que je reste gâteux devant l'oiseau. La vie de cabane est peut-être une régression. Mais s'il y avait progrès dans cette régression?"

"Il ne regagnera jamais la ville. sur l'Île, il jouit de deux ingrédients nécessaires à la vie sans entrave : la solitude et l'immensité."

"Le bonheur d'avoir dans son assiette le poisson qu'on empêché, dans sa tasse l'eau qu'on a tirée et dans son poêle le bois qu'on a fendu : l'ermite puise à la source. La chair, l'eau et le bois sont encore frémissants."


"En Russie, la forêt tend ses branches aux naufragés. Les croquants, les bandits, les coeurs purs, les résistants, ceux qui ne supportent d'obéir qu'aux lois non écrites, gagnent les taïgas. Un bois n'a jamais refusé l'asile. Les princes, eux, envoyaient leurs bûcherons pour abattre les bois. Pour administrer un pays, la règle est de le défricher. Dans un royaume en ordre, la forêt est le dernier bastion de liberté à tomber.
L'État voit tout; dans la forêt, on vit caché. L'État entend tout; la forêt est nef de silence. L'État contrôle tout; ici, seuls prévalent les codes immémoriaux. L'État veut des être soumis, des coeurs secs dans des corps présentables; les taïga  ensauvagent les hommes et délient les âmes. Les Russes savent que la taïga est là si les choses tournent mal. Cette idée est ancrée dans l'inconscient. Les villes sont des expériences provisoires que les forêts recouvriront un jour. Au nord, dans les immensités de Yakoutie, la digestion a commencé. Là-bas, la taïga reconquiert des cités minières abandonnées à la pérestrioka. Dans cent ans, il ne restera que des ruines enfouies sous des frondaisons. Une nation prospère sur une substitution de population: les hommes remplacent les hommes. Un jour, l'histoire se retourne, et les arbres repoussent.

"Ce saisissement de l'être devant l'apparition d'un rayon de lumière: gâtisme ou sagesse? Le bonheur devient cette chose simple: attendre quelque chose dont on sait qu'il va advenir. Le temps se fait le merveilleux ordonnateur de ces surgissements. En ville, principe contraire: on exige une efflorescence    permanente d'imprévisibles nouveautés. Il faut que les feux d'artifice de la nouveauté interrompent sans cesse le déroulé des heures et éclairent la nuit de leurs bouquets fugaces. En cabane, on vit au rythme du métronome plus qu'à la lueur des feux de Bengale."

"A 8 heure, tous les soirs, les rayons de soleil parviennent à se glisser dans une échancrure de crêtes au sud, et à tirer une longue coulée de lumière rousse sur le velours des épineux. Savoir si Dieu ou le hasard est responsable de cette beauté m'importe peu. Faut-il connaitre la cause pour jouir de l'effet?"

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

Mystique & Laïcisme



"Jamais l'empreinte laissée par cet archipel polynésien sur moi ne s'effacera. Je reste convaincu qu'on entend rien à la Polynésie si on feint d'ignorer les rapports quasi bibliques que la population entretient avec les éléments. Vouloir faire respecter le culte de la raison laïque au milieu du Pacifique est une idée toute métropolitaine. Il y a là-bas une fois simple que j'aime, une foi sans nuages.
Pour pénétrer en profondeur les consciences polynésiens, il faut du temps et accepter les explications irrationnelles, accepter de se soumettre au mystique. Chez les Polynésiens, la raison est soumise à la foi. Cette soumission n'est jamais chez eux une abdication. Rien n'est douteux, rien n'est obscur et pourtant aucune vérité ne leur fait peur. C'est une logique qui peut dérouter les sceptiques."
Ocean's Songs, Olivier de Kersauson.

"La démystification vise à rendre les personnes et leur conduite dociles aux lois du monde des machines."
Junger.

"Vivre en ponctionnant ce qu'il faut dans les bois garantit le bonheur. Ces hommes sont autonomes dans l'ogre des choses pratiques mais restent liés aux traditions des pères. Ils se tiennent aux antipodes des libres-penseurs qui ont arraché les liens à Dieu et aux princes mai dépendant de Lal ville et des services pour se nourrir, se déplacer et se chauffer. Qui a raison? Le moujik autarcique qui remet son âme au ciel mais ne pénètre jamais dans un magasin? Ou le moderne athée, affranchi de tout corset spirituel, mais qui est contraint de téter les mamelles du système et de se plier aux injonctions imposées par la vie en société? Faut-il tuer Dieu, mais se soumettre aux législateurs, ou bien vivre libre dans les bois en continuant à craindre les esprits? L'autonomie pratique et matérielle ne semble pas une conquête moins noble que l'autonomie spirituelle et intellectuelle. "L'on oublie que c'est surtout dans le détail qu'il est dangereux d'asservir les hommes. Je serai pour ma part porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres (...), écrit Tocqueville au chapitre De la démocratie en Amérique consacré à l'"espèce de despotisme que les nations démocratiques ont à craindre". Ce soir, vidant les bouteilles avec les coureurs de la taïga, je choisis mon camp. Pour les dieux, les princes et les bêtes, et contre le code pénal!"
Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

Liberté

"La liberté se trouve dans l'idée d'abandonner son libre arbitre. "

"Une fuite, la vie dans les bois? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donnent à l'élan vital."



"En Russie, la forêt tend ses branches aux naufragés. Les croquants, les bandits, les coeurs purs, les résistants, ceux qui ne supportent d'obéir qu'aux lois non écrites, gagnent les taïgas. Un bois n'a jamais refusé l'asile. Les princes, eux, envoyaient leurs bûcherons pour abattre les bois. Pour administrer un pays, la règle est de le défricher. Dans un royaume en ordre, la forêt est le dernier bastion de liberté à tomber.
L'État voit tout; dans la forêt, on vit caché. L'État entend tout; la forêt est nef de silence. L'État contrôle tout; ici, seuls prévalent les codes immémoriaux. L'État veut des être soumis, des coeurs secs dans des corps présentables; les taïga  ensauvagent les hommes et délient les âmes. Les Russes savent que la taïga est là si les choses tournent mal. Cette idée est ancrée dans l'inconscient. Les villes sont des expériences provisoires que les forêts recouvriront un jour. Au nord, dans les immensités de Yakoutie, la digestion a commencé. Là-bas, la taïga reconquiert des cités minières abandonnées à la pérestrioka. Dans cent ans, il ne restera que des ruines enfouies sous des frondaisons. Une nation prospère sur une substitution de population: les hommes remplacent les hommes. Un jour, l'histoire se retourne, et les arbres repoussent."

"les hippies fuyaient un ordre qui les oppressait. Les néo-forestiers fuiront un désordre qui les démoralise. Les bois, eux, sont prêts à accueillir les hommes ; ils ont l'habitude des éternels retours.
Pour parvenir au sentiment de liberté intérieure, il faut de l'espace à profusion et de la solitude. Il faut ajouter la maîtrise du temps, le silence total, l'âpreté de la vie et le côtoiement de la splendeur géographique. L'équation de ces conquêtes mène en cabane."




Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson.

jeudi 7 septembre 2017

Le Voyage sur la mer, Ocean's Songs

Ocean's Songs, Olivier de Kersauson





le Voyage sur la mer

"C'est toujours comme ça que j'ai vécu le voyage. Cette infinité de bleus, de lumières, et ces arrivées de nuit ouvrent mon coeur en deux. Je voyage pour la nuit, qui est forte, lourde, présente, épaisse, dense, et qui est digne de l'absolu que je recherche depuis mes vingt ans. Les paysages, les endroits, les villes traversés ne figurent pas pour autant dans mon herbier car je ne garde rien de matériel de mes passages. Mais il est aussi important de dire que je retrouve cet absolu du voyage maritime dans le rire des gens que je rencontre.
Je suis un animal humain qui refuse les larmes. Elles sont pour moi comme toutes les adresses chiffonnées que j'ai perdues. Probablement des évasions d'êtres chers que j'ai refoulées et qui m'apparaissent parfois comme une crête de vague. Mon acrobatie consiste à échapper au piège des larmes. Ne jamais se laisser toucher par l'archer du malheur exige de porter une armure. Si bien que je me dis que je dois dormir avec depuis soixante-quatre ans. Parfois, elle grince mais, pour autant, elle ne me pèse pas.
Il n'y a jamais eu un appareillage qui n'ait été un bonheur, il n'y a pas une manoeuvre qui n'ait été un plaisir, il n'y a pas un changement de mer, de couleur, de direction de vent, qui n'ait été une conquête supplémentaire sur ma route de marin. Car naviguer, c'est servir la beauté du monde. C'est une vie dense que celle de marin, une vie remplie et couturée. La navigation est une science sévère qui procure des plaisirs vernis de frais. Je pense que naviguer est un exercice de foi. J'ai tiré du bien et de la vertu de ce métier parce que je l'ai pratiqué librement.

J'ai vécu dans l'idéal du navigateur-voyageur que je me suis construit. Je suis comme le chasseur mais à la seule différence que je n'accroche pas au bois de cerf mon feutre quand je rentre de mes grandes battues transatlantiques. 
J'ai cherché ces trophées à coups de dents (...). Le reste du temps à terre, je ne sers à rien. En mer, je sers à quelque chose, j'ai une raison d'y être car le marin se nourrit de périls. (...)
Ma pensée ne se repose qu'en mer. Je ne fuis pas mes semblables. D'abord, pour être honnête, ils ne m'intéressent qu'assez peu pour que je les boude vraiment. Je vais en mer pour puiser une réserve d'érudition. J'ai besoin de ce parfum du large qui me fortifie. Mon coeur se retire des sens giratoires. Il est comme neuf. Je vais vers cette restitution envisagée depuis quarante ans. Vers les propriétés morales laissées par Tabarly, vers les griffures de la mer."

"Et ce qui fait la beauté des choses, c'est notre attitude personnelle"




"Et ce qui fait la beauté des choses, c'est notre attitude personnelle", Olivier de Kersauson.