Ocean's Songs, Olivier de Kersauson
le Voyage sur la mer
"C'est toujours comme ça que j'ai vécu le voyage. Cette infinité de bleus, de lumières, et ces arrivées de nuit ouvrent mon coeur en deux. Je voyage pour la nuit, qui est forte, lourde, présente, épaisse, dense, et qui est digne de l'absolu que je recherche depuis mes vingt ans. Les paysages, les endroits, les villes traversés ne figurent pas pour autant dans mon herbier car je ne garde rien de matériel de mes passages. Mais il est aussi important de dire que je retrouve cet absolu du voyage maritime dans le rire des gens que je rencontre.
Je suis un animal humain qui refuse les larmes. Elles sont pour moi comme toutes les adresses chiffonnées que j'ai perdues. Probablement des évasions d'êtres chers que j'ai refoulées et qui m'apparaissent parfois comme une crête de vague. Mon acrobatie consiste à échapper au piège des larmes. Ne jamais se laisser toucher par l'archer du malheur exige de porter une armure. Si bien que je me dis que je dois dormir avec depuis soixante-quatre ans. Parfois, elle grince mais, pour autant, elle ne me pèse pas.
Il n'y a jamais eu un appareillage qui n'ait été un bonheur, il n'y a pas une manoeuvre qui n'ait été un plaisir, il n'y a pas un changement de mer, de couleur, de direction de vent, qui n'ait été une conquête supplémentaire sur ma route de marin. Car naviguer, c'est servir la beauté du monde. C'est une vie dense que celle de marin, une vie remplie et couturée. La navigation est une science sévère qui procure des plaisirs vernis de frais. Je pense que naviguer est un exercice de foi. J'ai tiré du bien et de la vertu de ce métier parce que je l'ai pratiqué librement.
J'ai vécu dans l'idéal du navigateur-voyageur que je me suis construit. Je suis comme le chasseur mais à la seule différence que je n'accroche pas au bois de cerf mon feutre quand je rentre de mes grandes battues transatlantiques.
J'ai cherché ces trophées à coups de dents (...). Le reste du temps à terre, je ne sers à rien. En mer, je sers à quelque chose, j'ai une raison d'y être car le marin se nourrit de périls. (...)
Ma pensée ne se repose qu'en mer. Je ne fuis pas mes semblables. D'abord, pour être honnête, ils ne m'intéressent qu'assez peu pour que je les boude vraiment. Je vais en mer pour puiser une réserve d'érudition. J'ai besoin de ce parfum du large qui me fortifie. Mon coeur se retire des sens giratoires. Il est comme neuf. Je vais vers cette restitution envisagée depuis quarante ans. Vers les propriétés morales laissées par Tabarly, vers les griffures de la mer."
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