Aujourd'hui, je descends en pause et comme d'habitude je ne sais où me mettre ni quoi faire de mes mains, de mon attention, de mon regard. En effet, je ne fume pas, je n'ai pas de cigarette à griller pour avoir l'air occupé, pas non plus des masses de choses à regarder sur mon téléphone car je n'ai pas un milliard d'amis qui me contactent sur leurs heures de boulot, et je ne bois pas de café... Comment justifier ma pause? Comment expliquer que si je prends une pause, ce n'est pas pour "faire", mais justement pour cesser de "faire" un instant? J'aimerais juste me tenir là à rêvasser, mais je me sens l'air d'une originale et ne parviens pas à assumer cette image, surtout au sein de mon entreprise. Alors j'élabore un stratagème, une astuce un peu pathétique. Je descends systématiquement avec mon mug, que je remplis d'eau tout simplement, pour en prendre une gorgée de temps en temps, pour ne pas être là les bras ballants, pour me donner une certaine contenance, l'air de savoir ce que je fais.
Dans notre monde sur-occupé, où chaque seconde doit être rentabilisée, où le cerveau humain est sollicité jusqu'à épuisement par mille appli, réseaux sociaux (ou anti-sociaux), par nos impératifs de productivité et de rendement, difficile d'avoir l'air inactif et totalement improductif! Cet inconfort dans l'inaction n'est-il pas le syndrome d'une société malade de sur-action, dans laquelle ne rien faire est un crime, un manque à gagner pour la planosphère, une hérésie qui mérite d'être pointée du doigt et punie sévèrement par l'opinion publique? Il est à ce titre amusant de constater que l'inaction était à l'époque le privilège des puissants et des riches, qui se languissaient en effet toute la journée, alors qu'aujourd'hui ces mêmes riches de sociétés occidentales s'assomment et s'abrutissent d'informations vaines et d'actions stériles, et gâtent leur temps plutôt que de le perdre avec calme et humilité.
Je revendique le droit à l'inaction, à l'improductivité et à la rêvasserie, qui peuvent nous emporter plus loin qu'on ne nous le laisse croire. Car le rêve et l'attente sont des espaces de liberté, les derniers bastions de l'humanité, un endroit où peut s'exprimer le luxe de la pensée.
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