J'aimerais dire que je suis désolée d'écrire constamment sur #metoo, mais l'actualité s'accélère plutôt qu'elle ne ralentit, et les questions que vous soulevez sont nombreuses – j'ai tout simplement décidé d'y répondre en prenant mon temps. La peur d'être accusé à tort, donc, revient régulièrement dans les commentaires :« c'est parole contre parole donc c'est dangereux ».
Bah, non. Si c'est parole contre parole, au contraire, vous ne risquez pas grand-chose : la difficulté de rassembler des preuves a massivement joué en faveur des agresseurs. Au maximum, les fausses accusations représentent 2 % des cas recensés – sachant que dans 90 % des cas les victimes ne portent même pas plainte, les statistiques sont du côté des abuseurs, de manière écrasante. La potentialité d'abuser pendant trente ans sans être inquiété est incroyablement plus élevée que la potentialité de n'avoir jamais touché un moucheron et d'être crucifié. Les « grands hommes » actuellement sous le feu des projecteurs ne sont d'ailleurs pas crucifiés (sauf si j'ai raté les ramifications de l'actualité en terme de menuiserie). Ils continuent d'aller et venir librement. Ils bosseront moins. Harvey Weinstein pourrait aller en prison, mais ce serait la moindre des choses.
Franchement, entre un peu d'accusations et le matraquage de clous dans mes paumes, je choisis la première option. D'autant que les accusations concernent également les victimes. Asia Argento a carrément dû quitter l'Italie
Point suivant : qui sont ces inconnus sur Twitter et dans les commentaires, qui ont peur d'être accusés à tort ?Personnellement, je n'ai pas peur d'être accusée à tort de terrorisme, d'excès de vitesse, de blanchiment d'argent, de vol de pain au chocolat ou de triche aux impôts. Si on découvrait un cadavre dans mon congélo, ça ne serait pas drôle, mais j'irais sereinement devant les tribunaux (« ivre, Maïa Mazaurette achète par erreur un cadavre à la boucherie du marché paysan, le découpe avec un couteau correspondant exactement aux dimensions de l'arme du crime, et colle ses empreintes digitales partout »)... il y aurait zéro chance que je sois réellement inquiétée.
Par peur d'être accusés à tort dans un univers virtuel, certains hommes portent une accusation bien plus grave, et dans un univers bien réel : ils accusent les victimes de mensonge.
Enfin, rappelons qu'accuser quelqu'un de viol ou de harcèlement est à l'heure actuelle une damnation en soi. Déjà parce qu'on transgresse le tabou du public et du privé. Ensuite parce que toute accusation prive les victimes d'une forme de liberté, d'innocence, d'invisibilité dans l'espace collectif. Certaines femmes refusent ainsi, toujours aujourd'hui, de parler de Weinstein (c'est dans les articles de fond du NewYorker) parce qu'elles ne veulent pas que ça change la manière dont elles seront perçues – par leurs amis, par leurs collègues, par leurs parents. Imaginez si demain votre mère vous regardait différemment, avec pitié, imaginez la douleur de vos proches : c'est à cette peine que les victimes se frottent... du coup, accuser au hasard ? Parce qu'on s'ennuie et qu'on a décidé de crucifier un porc, comme ça, hop, y'avait rien à la télé ? Non. Pas possible.
Un homme qui abuse est un salaud, d'accord, mais il est fonctionnel. Une victime d'abus est considérée comme non fonctionnelle : elle est cassée, pour toujours. (Ce n'est pas vrai. Mais c'est le scénario de souillure qu'on propage.) Avoir son nom associé à un statut de victime, c'est potentiellement ne pas retrouver l'amour – certains hommes ont peur d'être avec une femme violée, c'est trop compliqué, c'est trop lourd à porter.
A l'arrivée, même en demandant justice, même dans le contexte favorable actuel (enfin, relativement), les victimes ont beaucoup trop à perdre pour accuser à tort – la seule chose qu'elles gagnent, c'est de limiter le nombre de victimes. Et c'est bien. Et c'est héroïque.
Sérieusement. Vous avez plus de chances de vous faire toucher par la foudre que d'être accusé à tort.
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